Interview Jérôme Roussel FIA

Jérôme Roussel de la FIA : « Le sport automobile et le rallye  ont toute leur place dans les mutations qui s’annoncent ».

swissrally.ch a rencontré M. Jérôme Roussel, responsable au sein de la FIA de l’ensemble des championnats internationaux de rallyes, hors WRC. Il a accepté de faire un point sur l’actualité en rallye, les nouveautés et l’avenir de la discipline dans un long entretien.

Jérôme Roussel pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 44 ans, marié et nous avons un fils de 11 ans. Je suis né à Dreux – à une heure de Paris – et j’ai toujours baigné dans le sport automobile au travers de mon père qui était pilote d’auto-cross puis de rallycross. Après mes études, j’ai été embauché au service de presse de la FFSA, où j’ai développé le tout premier site internet. C’était la préhistoire ! Puis j’ai monté ma propre agence de communication, Zone Rouge. Pendant plus de 15 ans, j’ai tour à tour travaillé avec Renault Sport, Citroën Racing, Peugeot Sport et plusieurs autres acteurs majeurs du sport automobile.


Jérôme Roussel, quelle est votre fonction au sein de la FIA et depuis quand vous y êtes actif ?

J’ai rejoint la FIA au cours de l’été 2018 et j’occupe la fonction de Responsable de Catégorie des Rallyes Régionaux. J’ai en charge la Commission des Rallyes et l’ensemble des championnats internationaux en dehors du WRC. Cela représente environ 80 épreuves par an, réparties sur tous les continents !

Quelles sont vos chantiers prioritaires actuellement ?

Ils sont nombreux ! Nous sommes en train de finaliser la réglementation Rally3, qui va permettre de recréer une offre de voitures à quatre roues motrices qui n’existe plus depuis la disparition des Groupe N. Une Rally3, c’est une R2 – qu’on appelle désormais Rally4 mais nous y reviendrons plus tard – avec quatre roues motrices et disponible prête à courir pour moins de 100 000 €. C’est un produit qui sera pertinent des championnats nationaux juqu’au WRC. Nous travaillons également sur FIA Rally Star, une opération de détection des jeunes talents à l’échelon mondial. C’est un projet très excitant qui va prendre forme au cours des mois à venir.

Vous êtes notamment en charge de l’ERT (European Rally Trophy) qui est une compétition qui peine à trouver « sa clientèle ». Comment l’expliquez-vous ?

C’est d’abord un problème de communication, certains concurrents ne connaissent même pas l’existence de l’ERT ! Nous y travaillons, avec des news publiées quasiment chaque semaine sur le site fia.com depuis le début de l’année dernière. Pour des pilotes qui pourraient être lassés de disputer les mêmes épreuves chaque année, l’ERT représente une belle opportunité de découvrir de nouveaux terrains de jeu et de débuter à l’échelon international. Il y a des régions comme le Central ou le Balkan qui marchent bien. Il faut continuer à travailler en gardant de la constance, car les messages sont parfois longs à atteindre leurs destinataires !

Qu’est-ce que vous mettez en œuvre pour dynamiser l’ERT, le rendre plus attractif ?

Nous cherchons toujours à simplifier la réglementation et à la rendre plus accessible pour les pilotes amateurs. Par exemple, en 2020 nous n’aurons plus que deux catégories, contre trois auparavant. Et nous passons de cinq à dix pilotes qualifiés pour la Finale, afin d’essayer d’attirer un maximum de monde. Nous avons aussi supprimé l’interdiction du retaillage des pneumatiques et nous sommes plus flexibles sur le nombre de passages en reconnaissances. Nous avons accepté la demande de dérogation du Chablais, qui souhaitait autoriser trois passages. Nous avons écouté les concurrents, à eux maintenant de rejoindre la compétition !

 


L’ERT se partage en zone, dont la zone Alps qui inclut la Suisse, quelles sont les manches au calendrier de la zone Alps en 2020 ?

Vous avez donc noté le changement de nom ! Pour éviter la confusion avec une célèbre marque automobile, l’ERT Alpine est devenu ERT Alps. Le calendrier sera assez classique, avec l’Ain-Jura en France, le Sanremo en Italie et bien sur le Chablais et le Valais en Suisse. C’est un beau calendrier, relativement compact et qui offre de belles opportunités de découverte pour les concurrents.

 Quelles sont les titres en jeu au sein de l’ERT Zone Alps ?

Nous décernons des titres pour les pilotes et copilotes en ERT, qui regroupe toutes les voitures à quatre roues motrices et les RGT, et l’ERT2 pour toutes les deux roues motrices. En plus de cela, nous avons un titre Junior pour les moins de 26 ans pilotant des voitures des groupes Rally4 (anciennement R2) et Rally5, comme les nouvelles Renault Clio Rally.

Le Clio R3T Alps Trophy soutenu par Renault Sport Racing, intègre trois manches de l’ERT Zone Alps dans son calendrier. A quel titre ERT peut prétendre un concurrent qui s’illustrerait dans cette compétition ?

C’est une grande satisfaction d’avoir réussi à accorder nos calendriers. En disputant l’Ain-Jura, le Chablais et le Valais, un concurrent faisant preuve de régularité pourra viser le titre ERT2 Alps. Il devrait être assez facile de se qualifier pour la finale qui aura lieu en Allemagne sur la terre du Lausitz Rallye (5-7 novembre). Là, c’est le titre absolu ERT2 qui sera en jeu. Encore une fois, cette épreuve représentera une belle opportunité de découvrir quelque chose de nouveau. A la clé, c’est un vrai titre FIA.


De nouvelles catégories régiront la discipline dès 2020, elles seront en vigueur en ERT notamment, comment est-ce qu’elles sont composées et quels types de véhicules est-ce que ces catégories concernent ?

C’est vrai que nous avons changé pas mal de choses dans ce que nous appelons la pyramide des voitures de rallye. Mais encore une fois, la finalité est de rendre les choses plus lisibles. On met de côté la classe RC1, réservée aux World Rally Cars qui s’appelleront bientôt Rally1. Le top niveau dans les championnats régionaux est formé par la classe RC2. La grande nouveauté, c’est que les R5 vont désormais s’appeler Rally2. RC2, Rally2 : facile à retenir non ? C’est la même logique que pour la pyramide monoplace avec F1, F2, F3… Pour la dernière année, la classe RC3 sera dédiée aux R3. A partir de 2021, il faudra faire de la place pour les Rally3. On continue avec la classe RC4, formée par les… Rally4, qui sont les anciennes R2. Et à la base de la pyramide, la classe RC5 est dédiée aux Rally5, comme vous l’aviez déjà deviné. C’est un peu comme le passage à l’euro : on va vite s’y faire !

Si on prend l’exemple des R2 actuelles, dans quelle catégorie est-ce qu’elles seront amenées à évoluer dès 2020 ?

Les R2 s’appellent donc désormais Rally4 et elles évoluent en classe RC4. Cette catégorie représente le summum des deux roues motrices.

Un point a souvent été incompris des pilotes, l’interdiction du retaillage des pneus moulés, notamment en cas de pluie pour les pneus de 15 – 16 ou 17 pouces. En séance ce 4 décembre 2019 des décisions ont été prise par la FIA concernant ce point. Lesquelles ?

Le retaillage est désormais autorisé pour les rallyes asphalte de l’ERT, à certaines conditions précisées dans le règlement particulier. Certains manufacturiers sont contre le retaillage car ils estiment que cela peut nuire à la sécurité – lorsque la carcasse est endommagée par un appareil mal manipulé – et que cela augmente les coûts, puisqu’il faut souvent acheter plus de pneus et faire plus d’essais. Nous avons essayé de trouver une solution qui soit satisfaisante pour tout le monde.


 

Quelles sont les autres décisions à retenir prisent en lien avec le rallye au niveau ERT et national lors de cette séance de la FIA du 4 décembre selon vous ?

Au total, nous avons fait 27 propositions au Conseil Mondial. Nous avons déjà parlé des principales nouveautés, mais je conseille à vos lecteurs de télécharger la réglementation FIA 2020 et de la parcourir au coin du feu. Il y a beaucoup de choses intéressantes à y apprendre !

https://www.fia.com/fr/regulation/category/117

Vous avez eu l’occasion d’assister à plusieurs manches du championnat suisse des rallyes. Quel regard portez-vous sur la discipline dans notre pays ?

En fait, je n’ai pour l’instant assisté qu’au Rallye International du Valais 2019 ! Outre les spécialités gastronomiques et œnologiques locales, j’ai beaucoup apprécié la convivialité qui règne entre les concurrents amateurs. A vrai dire, je ne pensais pas que la culture du rallye était aussi forte en Suisse. J’ai l’impression qu’il y a une bonne harmonie entre la passion du sport automobile et le respect de l’environnement. Pour moi, ces deux notions n’ont jamais été antinomiques, mais il faut reconnaître que cela semble bien marcher. C’est un peu la même chose en Nouvelle-Zélande.

Comment jugez-vous le niveau d’organisation général des épreuves suisses que vous avez eu l’occasion d’observer ?

Vu mon métier, j’ai toujours un peu tendance à voir ce qui ne va pas, mais il faut reconnaître que le niveau général est excellent en Suisse. J’ai reçu il y a peu de temps un email d’Ari Vatanen qui me vantait spontanément la qualité de l’organisation du Rallye du Chablais. Bel hommage non ? J’espère pouvoir venir faire un tour à Aigle en 2020, car Éric Jordan semble se démener pour faire la meilleure épreuve possible. J’apprécie aussi l’approche de Cédric Borboën, qui veut casser les codes et faire du Valais un événement grand public, où chaque membre de la famille peut trouver son compte.

L’avenir du rallye, principalement au niveau de la relève, est un peu préoccupant avec une baisse des jeunes qui débutent dans la discipline. Est-ce que vous le ressentez au niveau de la FIA et, si tel est le cas, comment la FIA envisage d’y remédier à son niveau ?

Déjà, je ne suis pas certain que ce problème soit totalement avéré. En tous cas, je n’ai jamais vu d’étude chiffrée, mais je sais juste que le nombre de participants en ERT Junior a bondi de plus de 20% en 2019 ! Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas, vous le verrez bientôt avec FIA Rally Star.

Pour conclure, on entend parler de voiture de rallye hybride à l’horizon 2022 en WRC, est-ce que ce sera le cas dans les autres catégories ?

Pas pour l’instant, le monde amateur ne semble pas prêt pour ces technologies assez coûteuses et complexes à appréhender. La dernière Commission Rallye a statué sur une stabilité de la catégorie Rally2 – les anciennes R5, pour ceux qui ne suivent pas – pour trois années supplémentaires. Et notre nouvelle catégorie Rally3 sera 100% thermique. Pour l’instant, le marché de l’hybride n’est pas là, mais tout va très vite dans l’industrie automobile en ce moment. Attendons de voir ce que cela va donner en WRC et peut-être qu’ensuite la technologie redescendra aux échelons inférieurs.

Avez-vous eu vent de constructeurs qui étudieraient la commercialisation de voitures de rallye hybrides dans les catégories autres que le WRC ?

J’ai vu quelques voitures hybrides sur une manche du Championnat de Chine, engagées par un constructeur local. Elles avaient quelques milliers de kilomètres dans les rotules ! En dehors de cela, Opel a récemment présenté une Corsa 100% électrique, qui évoluera dans une formule monotype en Allemagne. Les ingénieurs de la marque sont venus présenter ce projet, c’est intéressant et nous sommes attentifs à ces évolutions.

Pour vous, dans cette période ou l’automobile à moteur thermique n’a pas bonne presse, le rallye est une discipline qui a un avenir ?

J’ai la chance de voyager à travers le monde et je peux vous assurer que le rallye suscite toujours autant de passion. Évidemment, l’industrie automobile doit évoluer rapidement en Europe mais il faut faire la différence entre les discours politico-médiatiques et la réalité des choses. Dans nos régions montagnardes, les voitures thermiques représenteront encore longtemps la solution n°1 de mobilité. L’électrique va se développer, mais ce n’est pas une solution unique et définitive. Nous regardons déjà ce qui arrive ensuite avec l’hydrogène. Le sport automobile et le rallye ont toute leur place dans les mutations qui s’annoncent. Il faut les voir comme des opportunités, pas comme des menaces.

Interview de Jérôme Roussel pour Swissrally.ch le 24.02.2020